Il y a des courses hors normes, de part leur difficulté, leur ambiance, la préparation et sacrifices qu'elles nécessitent. L'aventure est souvent belle, on y trouve tous un peu quelque chose dans cette quête hors du temps. Je revois cet écrit sur le sol marqué à la craie dans une ultime montée, "Les folies sont les seules choses qu'on ne regrette jamais". (Oscar Wilde). Il prenait ici, en cet instant toute sa réalité...
C'est dans l'effort, l'euphorie des descentes, les doutes que l'esprit se révèle, parfois dans le silence des souvenirs de proches disparus, ou bien dans les sourires échangés avec les supporters ou encore dans le partage avec les bénévoles des ravitos. C'est avant tout pour cela que j'aime ces courses et ce qu'elle procure en moi.
Alors oui, j'ai incroyablement savouré ces 15h57 de course, vivant des émotions si contradictoires en si peu de temps que cet ascenseur émotionnel a imprimé dans mon cerveau des images de plaisir, de souffrance et de bonheur. Ce bonheur qui tient parfois à rien, un jour qui se lève sur les sommets alors que vous nagez depuis 45mn dans une eau à 15°, une minute de silence dans une nuit noire quelques secondes avant le départ en hommage à un triathlète, une descente infernale de 20 minutes dans le port de Pailhères à claquer des dents et rester concentré sur la route envahie par les flaques d'eau, un encouragement sur la course à pied (merci Antoine !), une conversation improvisée en fin de parcours...
J'avais une revanche à prendre comme me l'a sagement fait remarquer Christophe la veille de la course. Après l'énorme déception de 2013 où mon vélo m'avait lâchement abandonné et laissé fondre en larmes dans un creux de la montagne, j'avais une arme en plus pour affronter cette course, une détermination et une envie hors norme d'aller au bout, mais cette fois avec la manière, pas comme en 2012 où les 10h50 passées sur le vélo avaient eu raison de moi, me forçant à mettre pied à terre, à m'incliner devant la pente, et ensuite les 6 heures de marathon. 6 heures de déambulation à la sueur de la frontale et des encouragements de Caro et Cyril. Cette fois, j'étais prêt à en découdre.
Tout d'abord, il faut se rendre dans la petite station des angles, l'option train a été retenue pour plus de commodité, c'est déjà une étape en soi. Nous arrivons le jeudi après midi avec Robert. Petite frayeur pour lui car sa selle a préféré rester à la maison. Qu'a cela ne tienne, papa ours a de la ressource !
Nos amis Cecile et Antoine sont aussi dans les parages et Antoine parviendra à lui prêter celle d'un ami. Olivier et Vincent ont aussi fait le voyage et sont déjà acclimatés depuis une semaine. Tout ce joyeux monde se retrouvera le jeudi soir pour un dîner fort sympathique et typique dans le restaurant de très bon goût "chez Antoine". L'occasion de faire le point sur la forme du moment, les inquiétudes des uns, les vacances des autres...un grand moment d'amitié ! sans oublier Iron...
Le lendemain (J-1) est consacré à un réveil tardif pour ma part, un déj' devant le tour de France, la préparation du vélo. Cette année, j'ai choisi de faire l'impasse sur la révision d'avant course. J'ai confiance aux réglages de début de saison et aucune envie de modifier quoi que ce soit bien que mes nouveaux pneus "Supersonic" sont quasi neufs...:)
S'en suit le retrait des dossards en fin d'après-midi, le parc à vélo a pris de l'ampleur cette année. Nous serons 240 à prendre le départ. C'est champêtre, c'est paumé, j'adore. Coup d'oeil à la météo, elle s'annonce idyllique...
19h, l'heure du briefing a sonné ! les dernières consignes nous sont données, état des routes, difficultés de l'épreuve, ravito, météo, tout est passé en revue pour nous rassurer mais aussi éveiller notre appétit...
A partir de cet instant, je commence à m'immerger dans une espèce de bulle, de concentration. L'organisme est plongé dans un stress palpable car il sait que demain ne sera pas un jour ordinaire. Pasta party et au dodo.
Jour J !
Réveil 3h15, une question d'habitude désormais. La nuit a été courte mais relativement bonne. Petit déj' frugal mais complet. 4h30, on monte dans la navette qui nous descendra au parc vélo. La nuit est fraîche, Robert s'en plaint, je la trouve agréable, mon côté viking normand me dit-il...
5h, dans le parc à vélo silencieux et nocturne...Le groupe électrogène chargé de mettre une ambiance est en rade. Vérification du vélo, "tiens mon pneu arrière est à plat !" Pas très rassurant d'autant que je n'ai pas d'explication rationnelle. Quelques coups de pompes feront-il l'affaire ? On verra en sortant de la nat'.
Les frères patu se sont subtilement éclipsés dans la pénombre aux abords du lac de Matemale et Jean Guillaume, le local de l'étape n'est pas très loin. Robert et moi rejoignons "la plage", notre lieu de départ. N'y voyait pas de décor paradisiaque de sables fins, de cocotiers, de chaises longues et de cocktails. Ici c'est autrement beau !
Je suis la, debout, les pieds dans l'eau entouré d'inconnus. Mes cuisses commencent à trembloter. La peur ? le froid ? certainement les deux.
Le mot du maire et le traditionnel coup de feu lance le départ. Il est 5h30. Le groupe électrogène réparé peut envoyer "The Final Countdown". Nous commençons à nager.
Au début, le froid me paralyse un peu, m'oppresse et après quelques mouvements de bras, je prends mon rythme, les trajectoires ne sont pas optimales mais le plaisir est bien la. Ici, on a le privilège de nager tranquillement, sans coups, sans stress. Il y a vous, l'eau, la lumière rouge au loin, notre repère et les éléments...Le lac est légèrement agité et un courant latéral vient complexifier la tâche. Je boucle les premiers 1900m en 42mn, traverse le ponton et replonge pour un autre tour. Au loin, j'en profite pour brasser un peu et lancer une citation mythique "on est pas bien la ...?" à un autre nageur, histoire de partager cet instant convivial entre deux vaguelettes. Visiblement, il n'est pas du même avis et je rigole tout seul. Peu importe.
Retour sur la terre ferme après 1h25 de baignade. J'ai froid, je grelotte un peu lors de la transition. Jean Guillaume est aussi là, prêt à prendre le vélo. A tout à l'heure peut être...
Le vélo. que dire ????
Dès la sortie du parc je me demande si j'ai fait le bon choix vestimentaire, il est 7h, la température a le temps de grimper mais "en montagne, le temps...". Surtout qu'un regard lancé vers les sommets n'est pas des plus rassurant, grisaille, grisaille...J'ai quand même assuré le ravito de Mijanes (km70), avec des changes en cas de coup de grisou ! Une brève conversation avec Jean Guillaume dans la première montée et des encouragements. Le parcours de l'altriman est certainement l'un des plus exigeants en terme de dénivelé sur format IM alors la gestion sera la clé pour rejoindre le parc à vélo. Gestion de l'effort, de l'alimentation. J'ai prévu de passer 9h30 sur ma selle, et il faudra être concentré à 100% pour rester lucide.
J'ai en tête les images de 2013 lorsque je remonte au début du col de creu...Je m'autorise même une pause de quelques secondes à l'endroit où "j'avais cassé la machine" pour savourer ce point de passage car cette année, j'ai bien l'intention d'aller plus loin. Je discute avec un gars de l'Oise d'humeur joviale, on grimpe quelques km côte à côte dans la bonne humeur, ça me plaît bien.
Ravitaux de Mijanes, je demande l'heure histoire de savoir où j'en suis. A priori dans les temps. Les sensations sont excellentes et le port de Pailhères s'offre à nous en guise d'en cas matinal. Là haut, à 2000m, c'est une toute autre histoire qui commence, les rafales de vent glacial soufflent sur nos visages, les trombes d'eau s'abattent sur nous. Le spectacle serait magnifique si nous en n'étions pas les acteurs. J'enfile le coupe vent au sommet et attaque la descente à toute allure...C'est dantesque et surtout mémorable !
J'espère que des horizons plus cléments nous attendent de l'autre côté de la vallée. L'altitude baissant, la température remonte et le soleil revient, voilà qui enterre mes inquiétudes.
Les jambes tournent, les bidons d'iso et d'eau défilent, les gels et barres protéinées disparaissent une à une, les pentes s'élèvent inlassablement encore et encore pour notre plus grand plaisir.
Ici "la course commence au 140ème" nous répète t-on, il y a du vrai dans tout ça. Là où 2 ans auparavant ces 50 derniers km s'étaient apparentés à un interminable chemin de croix, cette année, ils avaient un autre visage, celui de la patience, de la découverte, de la pleine conscience du moment, tout prenait sens, c'est pour cela que j'avais envie d'être ici.
Cela fait 9h31 que mon Giant me supporte, retour à l'écurie, les applaudissements me font chaud au coeur.
Je troque mes Mavic pour des Mizuno, il est 16h30, bienvenue sur le marathon.
42km195, 700m D+.
Les premières foulées sont concluantes mais je me méfie et reste prudent ! Objectif 4h30.
L'alimentation est plus chaotique dans la mesure où j'ai envie d'un peu de tout et de rien, je suis dans la phase de transition entre sucré et salé et avale un peu ce qui s'offre à moi car les gels ne me font plus envie mais l'allure reste autour des 10km/h et les jambes répondent bien, pas de crampes, pas de douleur. Lors de mon premier retour vers le parc, je croise Jean Guillaume, il doit être 30mn derrière et affiche une allure très raisonnable. Il ne vas pas falloir mollir me dis-je ! J'avale les kilo sereinement, on m'appelle Monsieur chocolat à un ravito... et je plaisante avec les village people du ravito avant Balcère. C'est fun comme marat' ;). Km 30, ma digestion est devenue pénible et plus rien ne passe, il va falloir finir sur les réserves et à ce niveau de la course, autant dire qu'elles sont menues...Les encouragements du public sont source d'inspiration et le corps avance. Km 35, j'entame une discussion avec un autre concurrent. Nous marchons un peu, les derniers efforts se profilent...Km 38, je suis devenu marcheur à plein temps et je profite de chaque pas, l'esprit divaguant ailleurs, ma lucidité égarée, qu'importe, l'arche approche et l'adrénaline fait vibrer mon corps. 4h52 de marathon, et 15h57 de course, je n'avais aucune idée du timing à cet instant et suis satisfait de terminer sous les 16h. Les bras levés, la médaille autour du cou, quelques remerciements, pas de doute, l'histoire se terminera ici, la revanche est prise et elle est belle.
C'est avant tout une aventure entre copains, une joie collective puisque tous les stadistes seront finishers ! BRAVO à tous. Une grande pensée pour tous ceux qui m'ont soutenus et surtout merci à ma chérie pour m'avoir supporté. J'ose espérer que pour les prochaines éditions, d'autres stadistes iront s'amuser là bas...Nul doute que la satisfaction sera grande tant l'effort est beau.
Pour reprendre les mots du créateur d'une course mythique que Didier m'a fait découvrir récemment (La Barkley) : "On ne peut pas vraiment réussir s'il n'y a pas de possibilité d'échec et on ne peut pas vraiment connaître de grand succès s'il n'y a pas une grosse probabilité d'échec". C'est pourquoi je réfléchis déjà à d'autres défis...
Le corps humain n'est pas la limite de l'esprit mais son hôte.
Il est magnifique dans le sens où ces limites sont uniquement celles que l'on se fixe...Et il est tellement bon de flirter avec elles...
Anthony
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