vendredi 3 août 2012

Altriman - 7 Juillet 2012

AL TRI MAN...


Encore un nom étrange, certes, il n'a pas encore la célébrité de son confrère l'embrunman et pourtant...
C'est au sein des Pyrénées catalanes, au beau milieu du plateau du Capcir que Benoît Phalippou a concocté un parcours à faire saliver les papilles les plus téméraires...
Pour les amoureux des chiffres, au programme, deux boucles de 1900m de natation avec sortie à l'australienne dans le lac de matemale (lac artificiel situé à 1540m d'altitude), 196 km de vélo avec pas moins de 5200 m de dénivelé positif puis la cerise sur la barre de céréale, un marathon qui totalise 600m de D+ dans la station des angles.

Chaque année, une centaine de concurrents s'aligne sur le départ mais environ deux concurrents sur trois parviennent à franchir la ligne d'arrivée. 

7 Juillet 2012, c'est la quatrième édition de ce fameux altriman et j'ai décidé d'en faire partie. Un autre stadiste réputé pour ses prouesses à vélib (Cyril) sera également prêt à affronter la bête.

Nous sommes logés en face de l'arrivée (j'ai l'adresse pour d'éventuels intéressés :p) et autant dire que ce n'est pas du luxe pour l'après course. La veille, préparation des sacs de ravitaillement perso que l'on retrouvera aux km 68 et 136. J'ai la main lourde sur les barres protéinées, mule bar, banane, pom'potes, pâte de fruits, amandes, pain d'épice, papaye et que sais-je encore. Quand on aime, on ne compte pas ! L'idée, c'est d'avoir le choix, cela m'avait manqué à Nice et psychologiquement, savoir que l'on dispose d'un peu de tout, c'est rassurant. J'y ajoute des affaires de pluie si la météo s'annonce humide ainsi que des bidons glacés (merci à Jo et Didier pour ce conseil).
Vérification du vélo. Pour l'occasion, j'ai troqué mon 53/39 pour un compact 50/34. La reco effectuée début Mai m'en avait convaincu. Hors de question de jouer les grimpeurs sur la plaque. De la souplesse, de la souplesse ! pédaler à l'économie sera la stratégie. Pour la petite anecdote, j'ai bien failli ne pas être livré dans les temps. J'ai récupéré le pédalier seulement la veille de notre départ pour les Pyrénées. C'était moins deux ! 

En fin d'après midi, nous rejoignons le parc à vélo pour récupérer les dossards, déposer les vélos. Le parc est dans un champs, tout est minimaliste mais l'essentiel est la. Un décor différent de Nice mais tout aussi charmant. Peu d'agitation, quelques spectateurs, bien que le week end soit entièrement consacré à la pratique du triple effort.

18h45 Briefing, 20h, pasta party. On échange quelques mots avec Thierry, un autre triathlète croisé à Embrun qui retentera l'expérience cette année.

22h, extinction des feux. Mon troisième ironman se profile mais c'est encore la même mauvaise nuit de sommeil qui m'attend, à rêver de la course, des transitions, des cols interminables, une nuit pas vraiment sereine mais je me suis fait une raison. Cette nuit, ce n'est pas la plus importante.

3h45 !!! Yahooooooooooo. "Je sais pas vous mais j'ai une patate moi !" pour reprendre une phrase culte d'Antoine. Quelques mots qui annoncent une journée particulière, une journée que l'on s'efforce d'imaginer, non, il ne s'agit pas d'ouvrir les cadeaux, mais d'aller les chercher. Il y aura certainement une succession de doutes, de  confiance, de souffrance, d'introspection, de fatigue, de sourires et plaisanteries échangés avec les bénévoles, des encouragements des spectateurs, de ma chérie, des remerciements, peut être quelques larmes, du bonheur, tout ce qui fait que l'on est heureux d'être ici.

J'ai lu quelques race reports d'anciens participants et nul doute qu'il faudra être humble et déterminé devant l'effort qui nous attend. Autant, pour l'iron de Nice, mes estimations allaient s'avérer correctes, autant la bas, ce fut loin d'être le cas...

5h15, un dernier précieux bisous de ma chérie.
5h30, je suis là, planté les pieds dans l'eau, habillé en pingouin parmi d'autres inconnus. L'eau est annoncée à 18°, il fait frais mais bon.
J'ai perdu Cyril avant le départ. Nous sommes peu nombreux, 94 au total, privilégiés d'un instant calme avant...



Il fait nuit, le départ est donné. Premier objectif, rallier la lumière au fond du lac. La natation devrait être une "formalité", aucune pression chronométrique.
Je veux juste éviter les mauvaises trajectoires, nager à l'économie et ne pas puiser dans l'organisme dès l'aube. J'essaie de trouver mon rythme en deux temps et de rester au sein d'un petit groupe. Loin du rassemblement de sardines de la côte d'azur, nous ressemblons plus à des poissons rouges isolés dans un immense aquarium, chacun dans son bocal. Pas de coup, j'alterne entre brasse et crawl, la respiration n'est guère aisée, mais progressivement, après une bonne dizaine de minutes, je suis en crawl complet vitesse de croisière. Bon ok, c'est pas la croisière s'amuse mais qu'importe, l'appréhension et le frisson nocturne d'avant départ ont laissé place au plaisir de la glisse, somme toute relative...Premier objectif atteint ! Deuxième objectif, retrouver la plage, avec passage obligatoire sur le ponton pour la sortie à l'australienne et retour au bain sous le soleil levant. Quelques spectateurs applaudissent timidement, l'ambiance est intimiste. A cet instant, je suis dans le milieu du paquet, donc tout va bien. J'attaque le deuxième tour en mettant un peu plus de rythme et sors de la nat' en 1h24. Rien d'extraordinaire mais conforme à mon assiduité aux bassins de cette année :) J'avais prévu 1h15, 1h20, vu le temps des premiers (1h03-07), il devait y avoir un bon 4 km mais bref, on est pas la pour trier les lentilles alors 3800 ou 4000...Au compteur, deux abandons ! mais pas de noyade rassurez vous.

La transition se fait sans précipitation, "ne pas oublier la puce, ne pas oublier la puce, ne pas oublier la puce" (à l'instar de Nice). C'est bon, elle est la, fidèlement attachée à ma cheville, on peut attaquer. Je quitte le parc et 1km plus loin, ça déraille, pourvu que les réglages aient été bien fait et que ce ne soit qu'un incident isolé. J'avais la trouille d'un ennui mécanique qui viendrait tout remettre en question ! 



Le parcours commence par une montée jusqu'au col de la quillane qui passe très bien. Ensuite, on enchaîne avec le col de la llose, plus pentu mais assez court. Le soleil se lève aussi paisiblement que nous grimpons. Je me fais plaisir dans la descente de la llose et attaque ensuite le col de creu. Ce dernier d'une douzaine de km avec des passages bien raides m'avait conforté dans le changement de pédalier. Je grimpe en compagnie de trois autres concurrents, les paysages sont à couper le souffle, j'en aurai presque le vertige et me colle à la paroi rocheuse.

Ensuite, on redescend sur une route en travaux avec des gravillons, je ne prends aucun risque ! Premier ravitaux perso, déjà 68km et environ 3h30 sur le vélo, nous sommes au pied du port de pailhères qui culmine à 2000m. Un autre triathlète lance "bon, c'est parti pour 1200m de dénivélé..." Changement de veste, je refais le plein de provisions, quelques gorgées de menthe glacée, un vrai régal avant la montée des 15km à 8% de moyenne, le tout servi en plein cagnard. 

A ce moment, je dois être encore dans le milieu de tableau, j'ai repris quelques concurrents mais d'autres sont revenus sur moi. En haut du col, on m'annonce 56ème. Je suis dans les clous, donc on pédale, on pédale, on pédale, on...ok j'arrête :) 

Niveau alimentation et hydratation ça passe bien. J'avance heureux et confiant. J'aborde la descente à vive allure mais une douleur au genou surgit sans prévenir, le même genou qui m'avait pénalisé pour le marathon de Paris mais qui ne s'était pas réveillé à Nice. Alors pourquoi maintenant ? Chaque coup de pédale me fait mal, je relance le moins possible en sortie de virage et me laisse descendre pour reposer tout ça. Nous sommes à peine à la mi journée, pas de quoi entamer ma motivation mais les premières questions se posent. Et si l'enchainement avec Nice était de de trop, si j'avais eu les yeux plus gros que le ventre...et si... ?

Ensuite, on amorce la remontée vers le col de Chioula et la douleur disparaît ! Impeccable, je peux monter sans grincer des dents, plus de douleur et ça, c'est vraiment bon signe car étrangement, il reste beaucoup de montées :) voila de quoi renouer avec une relative sérénité. Chioula c'est, comment dire, impressionnant par l'absence de lacet en début de montée. Pourtant, ce n'est que 5km à 7% mais l'on a la pente sous les yeux et j'aime autant dire que l'on préférerait l'avoir derrière les jambes. Vous êtes littéralement scotché au bitume. Arrivé la haut non sans effort, je rejoins Thierry (vous vous souvenez, notre compère embrunman) qui avait du abandonner ici même l'an passé. "On est bien dans les temps" me dit-il. Parfait, ça fait plaisir de retrouver un copain de route à ce moment. On se laisse descendre en profitant de ce moment salvateur de récupération. Déjà plus de 5h sur le vélo et 100km d'avalés. 

La portion suivante est assez roulante et permet de se libérer musculairement. Profitons en, car arrive ensuite un bon coup de cul d'1km5 à 11%, mode danseuse activé une fois de plus, je fais vaciller le vélo dans les diagonales de la pente et mes quadri chauffent sérieusement. 

Se profile alors le plateau de Sault puis le second ravitaux perso au km 136. Un peu de répit, ouf ! C'est l'heure de faire les comptes. 7h que je fais le touriste sur mon vélo, il me reste environ 60km, estimés en 3h30. Une rapide addition m'amène à penser que j'ai perdu du temps sur mes prévisions (10h) mais pas de quoi s'alarmer. Un rapide coup d'oeil aux barrières horaires, ça devrait le faire, "devrait" je dis bien...
En plaisantant avec d'autres concurrents aux ravitaux, on me demande "Tu connais le parcours...?", "Tu sais que la course commence vraiment ici", "Zamora a fait une hypo l'an passé", "Pour moi, ça s'est transformé en cauchemard à partir d'ici" "Et je ne te parle même pas des quatre derniers kilomètres"...Tout un tas d'anecdotes tout aussi croustillantes dont j'aurai pu me passer. Je peux voir dans leur regard la crainte quant à ce qui va suivre. Le parcours rejoint la vallée de l'aude et le col de Garavel perché à 1200m long de 10km. Le début est assez roulant mais je préfère monter à mon rythme de sénateur, en garder sous la pédale pendant que cela est encore possible. "Allez la jeunesse !" me lance un gars me doublant avec une facilité déconcertante. Serais-je à ce point dans le dur que j'ai l'impression de me faire déposer ?

Peu importe, je me remets dans ma bulle, en mode économique. Le soleil nous gratifie généreusement de sa présence, j'ai très chaud. C'est un passage clé dans le parcours, exigent, épuisant, éprouvant, bref ça monte une fois de plus mais la fatigue générale m'emporte avec elle si bien que je grimpe quasiment à l'arrêt et pas une âme à des centaines de mètres. J'ai le temps de profiter des paysages exceptionnels et parvint enfin la haut sous les encouragements des enfants "allez monsieur ! plus vite ! plus vite..." 

Petite pause au ravitaux de quelques minutes en compagnie des bénévoles toujours souriant. On m'asperge d'eau. Ma lucidité m'a abandonné pour le doute et j'entends qu'il reste environ une vingtaine de concurrents derrière moi. Y aurait-il eu de l'écrémage ou aurais-je explosé sans m'en rendre compte ou pourquoi pas les deux ? "Il vous reste un faux plat montant, Carcagnères, le col des Hares et après c'est tout bon mais il ne faut pas trainer." 

Carcagnères, ce nom que l'on retrouve dans bon nombre de race reports résonne comme un frisson dans mes jambes. C'est reparti pour un tour, le faux plat montant prend des allures de col de première catégorie et j'aperçois la terrible côte...

On entend un peu de tout quant à la longueur (3km), les % (10-15) etc, tout ce que je peux en dire c'est qu'elle m'a mis KO. Après 45 bonnes minutes à grimper tel un mulet, je suis lessivé sur le replat avant Quérigut. Une nouvelle montée et c'est la défaillance, le mot abandon fait surface, pourtant je m'étais juré de ne jamais poser le pied mais la c'en était trop, 9h à faire le fanfaron sur mon vélo dans les montagnes ou plutôt à côté désormais, je marche le vélo à la main espérant un miracle, et ce miracle, ce fût ma chérie, "le hasard" l'avait installé en compagnie des bénévoles aux ravitaux de Querigut. "C'est assis sur le vélo qu'il faut être, pas à côté :p". Je retrouve alors un brun de sourire et m'allonge dix grosses minutes les yeux dans les nuages. A cet instant, je pense que la course est terminée pour moi, que l'altriman m'a dévoré sans vergogne et qu'il faudra retenter l'expérience. Caro m'écoute  patiemment me lamenter, compréhensive. Ai-je vraiment le droit d'abandonner si proche du but ? Il me reste vingt kilomètres avec le col des hares. J'apprends que les barrières horaires ont été ajustées d'une demi heure car sinon c'eût été l'hécatombe. Et sans savoir pourquoi, un sursaut d'énergie me fait remonter en selle pour une dernière chevauchée. Je parvins enfin à rejoindre le parc sous les encouragements de Caro et des arbitres (un grand merci à eux !). 

Il est 18h tout rond, j'ai bouclé le parcours en 10h50, et étrangement j'ai retrouvé une certaine fraîcheur qui me laisse confiant pour la suite de l'aventure. 16 acolytes sont derrière moi et au moins autant d'abandons. Le vélo de Cyril est déjà posé ? mystère, je ne l'ai pas vu de la course...

"Maintenant que je suis la, j'irai au bout". Un marathon ? il est tout simplement hors norme, à l'image du parcours vélo, mais qu'importe, l'enthousiasme revenu, la banane immense, il va falloir gérer. J'ai un peu plus de six heures pour terminer dans les barrières horaires. Le parcours se compose d'un aller retour puis d'un aller. On commence par le bord du lac et la forêt où je me surprends à pouvoir courir autour de 10km/h sur les cinq premiers kilomètres mais pas question de s'emballer. On rejoint la digue et la montée vers le hameau du lac où la première difficulté nous attend, 1km de montée à 6% où je marche activement. Demi tour au sommet, puis retour au parc à vélo en walk & run. Seulement je me plais à marcher et courir devient un véritable challenge. Je croise Cyril, qui m'explique sa mésaventure (j'espère qu'il aura sa revanche !). J'attaque une partie difficile du parcours pour rejoindre le village par un sentier qui monte de manière irrégulière. Caro m'attend à l'entrée du village, nous faisons notre footing dominical à un détail près, nous sommes samedi, il est 21h et ça fait plus de 15h que le départ a été donné. Autre difficulté de taille, 1 km de montée à 10%, je marche. La haut, un bénévole excellent déguisé en hippie propose du gin tonic :) On descend vers le lac de balcère. J'ai beaucoup marché, le semi est bouclé en moins de 3h. 
Cyril m'a récupéré dans la station et me propose de finir ensemble. On court un peu, on marche beaucoup. Mon coach improvisé de dernière minute me motive pour avoir une petite foulée. Les jambes répondent assez bien mais je suis épuisé. Le crépuscule a envahit les montagnes et nous baigne dans une atmosphère quasi fantastique. Equipés de nos frontales, nous avançons à petit pas mais il ne faut pas trainer. Une part de pizza par ci, un verre de bouillon par la, le goût du sucré m'écoeure pour la première fois sur une épreuve. Si l'on m'avait dit que j'aurais terminé la course dans ces conditions, j'aurais bien ri, et pourtant...
L'arrivée au village sonne le glas de cette épopée, ma Caro est la. Nous avançons tous les trois vers la salle des fêtes. 


Dernier effort avant de monter sur le podium et de franchir cette ligne tant rêvée. Un moment magique presque incroyable. 6h04 au marat' pour un temps total de 18h31. Oui j'ai pris mon temps :)
J'en profite pour remercier ma chérie sans qui l'aventure aurait pu se terminer le vélo à la main, Cyril pour m'avoir boosté sur les 20 derniers km, l'organisation aux petits oignons, notre coach et tout ceux qui m'ont suivi.

C'est aussi ça la beauté de notre sport, s'aventurer dans l'inconnu, s'émerveiller aussi bien des paysages que de la difficulté, ressentir la douleur autant que le bonheur, partager les émotions, ne jamais renoncer et se sentir vivre...




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